Hicham Bouzid en 5 questions

Hicham Bouzid

Bonjour Hicham, est-ce que tu peux te présenter en quelques phrases ?

Je m’appelle Hicham Bouzid, j’ai 29 ans, je suis né à Tanger. Je travaille comme directeur artistique et commissaire d’exposition, ma pratique curatoriale vit autour de différents projets : j’organise des expositions, des séminaires, des podcast, des résidences d’artistes, des open studios et plus récemment, je suis revenu vers quelque chose qui me passionne vraiment qui est l’édition, en créant une revue qui s’appelle Makan. Les différents médiums que je pratique tendent vers un même objectif, autour des enjeux contemporains qui traversent la société marocaine aujourd’hui. J’essaie de créer un narratif qui émane de notre contexte spécifique. 
Je n’ai pas fait d’études dans le milieu de l’art mais j’ai appris sur le tas, j’ai commencé à travailler en tant que libraire à la librairie des Insolites à Tanger avant de m’installer à Marrakech en 2013 où j’ai eu l’immense plaisir de faire partie du lancement du 18, Derb el Ferrane, un riad culturel pluridisciplinaire en plein coeur de la médina de Marrakech. Cet espace d’expérimentation culturel et artistique a été une expérience extraordinaire pour moi et m’a ouvert la voie vers plusieurs opportunités et de rencontres. 
En 2016, je me suis réinstallé à Tanger et j’ai créé la plateforme ThinkTanger, un projet culturel qui explore les enjeux sociaux et spatiaux de la ville de Tanger. 

Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ThinkTanger ?

Cette année, ThinkTanger fête ses 5 ans alors que le projet a commencé comme un one shot. 
Quand on a lancé le projet avec Amina Mourid, la question était simple : qu’est ce qui se passe à Tanger ? Autour de nous, il y avait beaucoup de changement : des rues explosées, de nouveaux quartiers, de nouvelles infrastructures urbaines. ThinkTanger s’intéresse à l’impact des changements urbains sur la vie des gens et pense la ville de Tanger à travers le prisme culturel. La mise en valeur de l’expérience des habitants de Tanger est très importante pour une ville qui a souffert d’une fausse image fantasmée : celle de la Beat Generation, à la fois trash, sexy et bohème, à la croisée des continents… Or cette image ne colle pas à la réalité d’aujourd’hui. 
Notre programmation culturelle prend forme autour d’un cycle de réflexion, un thème. On la structure autour de rencontres avec des artistes, des chercheurs, des urbanistes, des activistes, qui s’intéressent au vivre-ensemble dans une cité. On a aussi un programme de résidence d’artistes, d’open studio et d’exposition et de publication à travers la revue Makan, en essayant d’impliquer une communauté toujours plus large. Notre atelier se trouve en plein centre-ville mais on crée du lien avec la périphérie à travers un programme de laboratoire urbain qu’on développe avec des communautés issues de ces quartiers, toujours pour refléter le changement urbain et social de la ville de Tanger à travers le vécu des gens.

Dans le cadre d’Atelier Kissaria, tu questionnes la notion d’artisanat, en quels termes ?

Atelier Kissaria est un espace dédié à la production d’objets et d’images imprimées, lancé un an après Think Tanger. Au Maroc, la kissaria c’est l’ancêtre du mall, l’endroit où on peut tout trouver. On voulait créer la kissaria des pratiques, un endroit où on peut imprimer son affiche en sérigraphie, produire un tissu, etc.
J’ai eu la chance de rencontrer et de collaborer avec l’artiste Yto Barrada, originaire de Tanger aussi, dont le travail est une inspiration pour nous, qui nous a proposé de partager son atelier tangérois avec elle. Quand j’ai lancé l’atelier Kissaria, c’était moins pour produire que pour questionner la production, le rôle de l’artisanat en tant que pratique artistique en soi et réinscrire les pratiques artisanales dans un processus de production artistique, parce qu’au Maroc et dans d’autres pays d’Afrique, l’histoire de l’art est extrêmement liée à l’artisanat. Personnellement, je considère personnellement qu’un tapis produit par une tisserande et dans lequel des motifs et des symboles reflète quelque chose au-delà de la décoration. Il y a aussi un lien évident entre l’artisanat et la ville, aujourd’hui les artisans se retrouvent, à cause de l’industrialisation massive d’une ville comme Tanger, à l’écart. 
Aujourd’hui on se concentre sur l’impression et l’édition indépendante, à travers la sérigraphie, que je pratique à titre personnel aussi et qui, elle-même, est une pratique artisanale, ancestrale, au centre de la production artistique. On fait évoluer l’atelier Kissaria qui va devenir le Tanger Print Club.

Est-ce que tu peux nous parler de ton rapport à la ville de Tanger ? 

Tanger a encore une atmosphère de petite ville voire de village alors même que c’est une métropole de 2 millions d’habitants (à qui il manque les infrastructures d’une métropole…) Les gens ont une routine, je croise les mêmes personnes au café de Paris tous les jours. J’aime énormément cette ville, je m’y investis à fond parce qu’elle me donne une opportunité unique de développer des choses extraordinaires. Tanger m’inspire, j’observe ce qui se passe au quotidien, j’observe les gens. Au centre-ville, là où j’habite, des backgrounds extrêmement différents et des catégories socio-économiques extrêmement différentes se croisent, ce qui n’est pas le cas dans d’autres villes. Je tiens beaucoup à ce mélange humain assez absurde.

Dans quelle mesure tu te définis comme méditerranéen ?

Je me définis comme méditerranéen d’abord par la nourriture :  manger une tomate et sentir le soleil dedans. A Tanger, malgré les super et hypermarchés qui ont poussé partout, il reste des endroits comme le marché de jbala. Trois fois par semaine, les jebliat, ces femmes qui vivent dans la montagne descendent en ville pour vendre leurs produits, des légumes, des fruits, des graines, des œufs fermiers, de l’huile d’olive excellente etc. Pour moi, la Méditerranée, ce sont ces petits bonheurs du quotidien qui coûtent peu cher et qui ont toute leur importance. Je pense aussi à la mixité des cultures qu’on trouve à Tanger et en Méditerranée. Je tiens aussi à une identité méditerranéenne du Sud, où les frontières existent toujours. Je sens que je n'appartiens pas au même côté de la méditerranée que certains qui peuvent faire l’aller retour  :  je vois Tarifa tous les jours mais je n’y ai pas accès sans visa!
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