Inès, Kenza, Odélia et Saena

autrices de (une nuit)
Aujourd’hui, on a la joie de vous partager notre entretien avec Inès, Kenza, Odélia et Saena, les quatre autrices du roman graphique Une Nuit. Identité(s), origines, immigration, déracinement, intégration, assimilation, laïcité, féminisme, intersectionnalité, justice, liberté, égalité, sororité… Autant d’interrogations et de réflexions livrées sans filtre, comme un miroir de la société actuelle.

 

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Pouvez-vous vous présenter ?

Inès : Je suis Française, née à Paris, et j’ai grandi à Jérusalem, mon père étant journaliste. J’y ai passé 18 ans de ma vie. J’ai étudié à Sciences Po et j’ai monté Pèlerinage en décalage, le premier festival israélo-palestinien à Paris.
Kenza : Je suis née et j’ai grandi au Maroc avant de déménager en France pour étudier à Sciences Po. J’ai co-créé avec Inès, le festival Pèlerinage en décalage. Je suis aujourd’hui chroniqueuse pour différents médias francophones et anglophones.
Odélia : J’ai grandi à Besançon et j’ai étudié les sciences politiques et les relations internationales. Ensuite, je suis devenue illustratrice contre toute attente donc j’ai un peu appris sur le tas, en réalisant des commandes et en prenant beaucoup de cours du soir. 
Saena : Je suis la coscénariste avec Inès et Kenza, et la calligraphe de ce livre. Elles m’ont donnée l’opportunité de présenter mes calligraphies sur une vingtaine de pages. Je suis ingénieure d’études climatiques au CNRS le jour, scénariste et calligraphe la nuit.

Comment vous êtes-vous connues ?

Inès : J’ai rencontré Odélia via Kenza sur le festival, elle faisait les visuels du festival pour la 2ème et 3ème éditions. Saena, je la connaissais par des amis intermédiaires, on a toutes les deux fait des Master en études urbaines à Sciences Po. Ensuite, je l’ai rencontrée avec Kenza car elle était partenaire du festival et on est devenues amies. 

Kenza : On a toutes fait nos études à SciencesPo, pas forcément en même temps mais c’est ce qui nous unit. J’ai rencontré Odélia car on a fait exactement le même stage à quelques mois d’intervalle et comme on avait les mêmes cheveux, tout le monde m’a parlé d’une certaine Odélia que j’ai rencontrée en Master. Saena était aussi à Sciences Po sur le campus de Poitiers et nous a très gentiment proposé son aide quand Inès et moi bossions sur le festival Pèlerinage en décalage et on est devenues amies ! 

Odélia : Je connaissais déjà Kenza parce qu’on avait fait un stage à Tel Aviv chez Amnesty. On était en cours à Sciences Po ensemble, puis j’ai rencontré Inès et Saena à travers le festival organisé par Inès et Kenza. 

Saena :  Moi, c’est d’ailleurs un copain qui m’exotisait beaucoup qui m’a fait plonger dans le festival et ça a énormément nourrit nos conversations sur notre fameux groupe WhatsApp où tout a commencé. 

La genèse d’Une Nuit, c’est quoi ?

Inès : Le projet a commencé aux détours d’une conversation WhatsApp où on discutait de nos vies, de nos boulots, de nos amours toujours à travers le prisme de nos identités, de nos origines et de nos héritages et surtout de nos exotisations respectives (la manière dont on est exotisées par les hommes). Ce qui est intéressant dans ce projet, et c’est pour ça qu’il est très riche et qu’il a été passionnant à faire et j’espère qu’il le sera aussi à lire, c’est qu’on est toutes différentes. Nos rapports à nos identités, nos origines, nos relations, nos exotiosations sont différentes. C’est aussi pour ça qu’on a voulu le faire ; pour montrer ces différents points de vue, montrer que tout est aussi très mouvant, que la manière dont raisonner n’est pas figée, celle qu’on avait en 2015 quand on a commencé le livre est différente aujourd’hui.

Kenza : On essayait de réfléchir ensemble et de comprendre un peu mieux ce qui nous arrivait en tant que jeunes femmes, dans un contexte particulier en France et dans le monde. Un jour, on s’est dit qu’il fallait qu’on raconte ces histoires, elles ne pouvaient pas restées juste enfermées dans nos téléphones. Et l’idée est venue de faire un livre, une BD ! Très vite le nom d’Odélia a émergé et on s’est dit qu’on allait lui proposer l’idée. Personne n’avait fait ça avant !

Odélia : Elles avaient un WhatsApp et un Google Doc où elles échangeaient pleins d’idées, de blagues autour de leur identité. Elles sont venues me voir à un moment pour faire une BD, j’ai dit « pourquoi pas puisque je viens de commencer à être illustratrice et que je ne sais pas vraiment dessiner donc allons-y ! » Mais ça c’était il y a longtemps, et ensuite on a commencé à construire les personnages, à structurer un peu tout ça. On n’avait aucune idée de ce qu’on était en train de faire mais on a appris, on a beaucoup travaillé. Les filles ont écrit un scénario, et j’ai fait pleins de story-boards. On a construit l’œuvre ensemble et on s’est un peu construites artistiquement ensemble. C’était assez difficile, mais en même temps une très belle aventure ! Avec une suite de miracles, de travail et de persévérance, on en est là et c’est trop cool !

Saena : Ce sont trois filles qui se rencontrent et qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et qui le temps d’une nuit chaotique, se rendent compte qu’elles sont extrêmement différentes mais qui partagent des histoires d’immigration et des questionnements identitaires qui vont les définir bon gré malgré, quand bien même elles n’aimeraient pas que ça les définisse. C’est une histoire commune, au-delà d’elles, c’est l’histoire de l’humanité, des migrants et de leur arrivée quelque part. Ce n’est pas juste l’histoire de l’immigration, c’est l’histoire des ancrages après les migrations. 

Ici on parle cheveux, est-ce qu’il y a un angle capillaire dans votre roman ? Y’a-t-il une intension derrière ?

Inès : Quand on imagine des personnages, on se demande comment on fait pour que ce personnage représente des gens, et pour qu’ils soient touchés par ce personnage. Par exemple, pour notre personnage Ava, on a beaucoup cogité sur sa couleur de cheveux. Au début, c’était une fille qui devait être un peu blond vénitien, maintenant elle est blonde. Il y a aussi la réalité de l’harmonie des dessins, donc il y a énormément de choses qui rentrent en compte, mais oui les cheveux étaient un gros sujet.

Kenza : Je dirais qu’il y a carrément un angle capillaire à notre roman parce qu’on a beaucoup discuté des cheveux de nos personnages, de leur couleur, de leur texture. Plus précisément, en termes de graphique, de dessin et de calligraphie, les cheveux sont à l’honneur sur un certain nombre de pages de notre livre. Ils ne sont pas là juste en tant que parties de nos corps, mais ils sont aussi là pour délivrer des messages à tiroirs. Dans le livre, il y a des pages qui plairont particulièrement à Shaeri.

Odélia : Il a fallu trouver un peu des techniques pour en même temps faire comprendre et de représenter une diversité de femmes sans non plus rentrer trop dans les clichés, en utilisant des couleurs et des coiffures qui soient réalistes et qu’ils soient utilisables en BD. D’ailleurs quand on regarde le livre, on voit que la longueur des cheveux des personnages change d’une page à l’autre. Dessiner les cheveux d’un personnage, c’est un peu dessiner sa vibe et son énergie ! Ça joue vraiment dans l’expression du personnage. Parfois, on dessine les cheveux très longs ou très cascadeux, ou un peu plus raide pour le même personnage.

Saena : Les personnages essayent de nous ressembler, on est trois scénaristes et d’une certaine manière chacune est garante d’un des personnages, de sa véracité et de son réalisme. Évidemment, nos cheveux ressemblent un peu aux cheveux des personnages, mais pas trop. Moi j’aimerai trop avoir les cheveux de Salomeh par exemple qui est le personnage franco-iranienne du livre ! Elle a les cheveux très longs, elle a réussi à faire une tresse, ce que je n’ai jamais réussi à faire ! Salomeh, elle, a les cheveux très noirs de jais, lisses mais épais, Ava, assez blonds et raides, et Leyla a les cheveux marron foncé, bruns, très ondulés.

Sur certaines pages, la texture des cheveux devient un peu les bagages identitaires et ancestraux des personnages. Il y a toute une sorte de généalogie, d’histoires et de contre-histoires écrites dans leurs cheveux. C’était une intention graphique à laquelle on avait pensée et qu’on a d’abord essayé de retranscrire dans le dessin puis en calligraphie.

Et vous, comment décrirez-vous vos cheveux ?

Kenza : C’est eux qui choisissent, j’ai accepté l’aléatoire dans ma vie grâce à eux ! J’ai toujours considéré qu’il était important de porter ses cheveux au naturel. Il y a eu des périodes où c’était plus dûr que maintenant, il y avait une énorme pression à se lisser les cheveux, surtout au Maroc. 

Inès : C’est une question très intéressante et à laquelle il n’est pas facile de répondre car pendant longtemps je me calais sur la routine cheveux de ma mère alors qu’on n’a pas du tout les mêmes cheveux. Je la voyais se démêler les cheveux que lorsqu’ils étaient mouillés avec de l’après-shampoing. Donc je faisais pareil. J’ai toujours fait une routine de cheveux ondulés et épais alors que j’ai des cheveux fins et assez raides. Il y a quelques années, j’ai remarqué que je n’avais pas vraiment de routine adaptée à mes cheveux. Pour moi, c’était shampoing/après-shampoing peu importe lesquels. Je dirais que j’ai les cheveux fins mais à tendance ondulée. Ils sont très changeants, c’est compliqué, je n’ai pas encore la clé de mes cheveux. Mes coiffures dépendent de trop de paramètres, de mon look, de mon humeur. je n’ai pas encore ma routine phare et je ne sais pas si je la trouverais un jour d’ailleurs ! Peut-être que c’est comme l’identité, on ne la trouve jamais.

Odélia : Mes cheveux sont en roue libre, ils sont très bouclés mais en fait, ça dépend. Cette année, j’ai commencé à avoir beaucoup de plantes vertes et à m’occuper d’elles. En m’occupant des plantes, je crois que j’ai un peu compris ce que j’avais sur la tête. Mes cheveux font leur vie, parfois ils pensent à moi et se rappellent que j’existe mais c’est hyper rare ! Là en ce moment, on n’est pas hyper potes j’avoue, c’est un peu une crise capillaire sans précédent, ils sont en train de changer, je n’y comprends rien.

Saena : Pour moi ils sont très iraniens, même si cela ne veut pas dire grand-chose, puisqu’il y a pleins d’ethnies différentes en Iran. Ils sont irano-indien, asiatiques quoi. Ce sont des cheveux qui aiment bien aller dans des salons de coiffure indiens, car ils sont compris par des coiffeurs qui vont du Maghreb au Pakistan on va dire. Je les aime beaucoup. J’ai failli les perdre, en fait je les perdu au moment de mon premier post-partum, j’avais accouché de mon premier enfant et je ne savais pas que l’on pouvait les perdre. J’ai donc coupé mes cheveux pour la première fois très courts et je m’en rappellerai toute ma vie.

Avez-vous un motto capillaire à nous transmettre ?

Inès : J’ai envie de dire que je n’en ai pas vraiment. Mais il y a quand même des basiques comme bien dormir, et surtout être au bord de la mer, le sel, j’ai l’impression que toutes les personnes que je connais avec tout type de cheveux, et bien le sel de mer, ça leur réussit.

Kenza : Je me suis coupé les cheveux assez courts il y a un an et j’adore ! Je pense que ça m’a ouvert tout un nouveau champ des possibles en termes de coiffures car j’ai toujours eu la même coupe auparavant. Et maintenant que j’ai les cheveux courts, ça me plait, je gagne énormément de temps et ma routine est beaucoup plus simple. Ça me pousse à penser à changer de couleur de cheveux, de faire des tresses, choses auxquelles je m’étais toujours interdites avant.

Odélia : En ce moment je n’ai pas vraiment de motto capillaire à part lâcher prise !

Saena : Il faut vraiment beaucoup aimer ses cheveux parce qu’on peut les perdre un jour. Tant qu’ils sont avec nous, c’est nos supers copains et on les aime trop !

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